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L'histoire

Dimitri, une ancienne gloire de la chanson des années 80, a abandonné la musique après le décès de sa femme Laurence. Depuis, il vit reclus dans le passé sans avoir jamais fait le deuil, au grand dam de ses amis Marc et Sarah, qui ne supportent plus de le voir ainsi végéter. Agacés par son attitude, ils décident de lui jouer un tour en montant dans son dos un canular lors de ses vacances au Pérou. Mais ce qui n’était qu’une blague de potache prend bientôt des proportions qu’ils n’auraient jamais imaginées. Sous leurs yeux, ils assistent à la résurrection d’un Dimitri méconnaissable qui reprend goût à la vie et à la scène. Ont-ils été trop loin ? Doivent-ils lui révéler la vérité ? A moins que Dimitri ne les ai pris à leur propre jeu…

dimanche 28 décembre 2008

Antoine entra discrètement dans le studio et s’approcha de Marc, s’asseyant sur le siège resté vide à côté de lui. Marc, casque vissé sur les oreilles, ne l’avait pas remarqué. Silencieusement, Antoine observait avec attention le déroulement de l’enregistrement. Il ne voulait pas manquer un seul instant de cet évènement. Il voulait toujours être aux premières loges, normal pour un impresario, mais il lui en fallait toujours plus, c’était dans sa nature. Rien ne devait se faire sans lui, c’était son crédo. Il savoura cet instant et son regard parcouru avec délectation l’assemblée de stars qui lui faisait face.
Au bout de quelques instants, il remarqua quelque chose d’inhabituel. Il en manquait un. Il s’adressa à Marc, concentré sur les manettes de réglage de l’égalisateur.
- Marc, il est où, Dimitri ? Je ne le vois pas.
Interpelé, Marc resta les yeux vissés sur ses manettes, absorbé par son travail, répondant le plus tranquillement du monde.
- Houla… Euh… Comment te dire… Eh, bien, en fait, il n’est pas venu.
- Quoi ?
C’était justement à l’époque du lancement des Restos du Cœur. Une fois l’enregistrement du single effectué, et la promotion lancée sur les rails du merchandising, l’inévitable soirée de bienfaisance devait avoir lieu. C’était un incontournable. Le 25 janvier 1986 le grand show télévisé s’était donc tenu sur TF1 pour soutenir l’association de Coluche. L’objectif était de lancer le mouvement chez la ménagère de moins de cinquante ans et de collecter des fonds, surtout ceux des cadres de Catégorie Socio Professionnelle Supérieure, les plus difficiles à mobiliser car particulièrement radins. Pendant quatre heures, l’évènement avait vu défiler sur un plateau berlusconien des artistes, des personnalités politiques, des vedettes de la communication. Cela avait permis aux Restos de récolter près de deux cents millions de francs « pour servir la soupe aux pauvres» avait titré Libération le lendemain. Sarah, elle, avait eu bien d’autres préoccupations ce soir là. Elle devait participer ensuite à la réception donnée par les responsables de la chaîne pour célébrer le succès de l’opération et leur propre succès bien évidemment. Une soirée RP de plus qui requérait donc sa présence. Elle se déroulait à côté du théâtre Marigny. Tous ceux qui avaient participé plus tôt aux ébats cathodiques sur scène étaient maintenant présents, entourés par un parterre de VIP triés sur le volet, de politiciens accompagnés de leurs gardes du corps, et de quelques happy-fews venus supporter la cause. Les m’as-tu-vu et les éternels pique-assiette étaient évidemment présents, bien loin des préoccupations mondaines et humanitaires.
Et voilà qu’il se retrouvait ce soir à cette réception, profitant de cette occasion pour revenir à ses premières amours, celles de DJ, tenir les manettes, diffuser quelques-uns de ses coups de cœurs musicaux, et élargir la connaissance musicale des invités. Hélas, sans beaucoup d’effet jusqu’à présent. Un des patrons de la chaîne l’avait retrouvé au début de la soirée pour lui demander de maintenir une musique d’ambiance qui permette aux participants de discuter tranquillement.
- Je vais essayer, mais je ne garantis rien. Il se pourrait que certains dansent. Je ne suis pas à l’abri d’un succès, s’amusa Marc en lui répondant avec un grand sourire qui désarma son interlocuteur.
Marc pensait avoir gagné la partie mais déjà certains venaient lui demander de passer de la variété française, le comble de la provocation. Cela commençait à l’ennuyer. Il bougonnait avec un autre ami DJ qui l’avait rejoint pour la soirée.
- Je te parie qu’ils vont encore nous gonfler à vouloir écouter de la soupe. J’espère qu’ils ne vont quand même pas nous demander de passer du Sabine Paturel. Si c’est ça, je m’en vais !
Parcourant la salle du regard, il remarqua cette jeune beauté brune qui restait campée au buffet, observant les personnalités présentes dans l’assemblée, une coupe de champagne à la main. Sarah avait vingt-cinq ans à l’époque. Grande et mince, elle portait un tailleur sombre qui mettait en valeur l’harmonie de ses formes. Ses cheveux longs et bruns ondulaient sur ses épaules frêles. Un léger maquillage illuminait son visage ovale et rehaussait la finesse de ses traits mats, ressortant le noir profond de ses yeux.
Les restes de l’hélicoptère devaient se trouver épars sur le sable, sans doute sur des dizaines de mètres en plein milieu d’un désert de dunes. Peut-être que de l’essence avait consumé la carlingue de l’appareil, formant une épaisse fumée noire de plastique et de caoutchouc brûlé, dense et nauséabonde, qui s’était évaporée dans les airs, indiquant distinctement le lieu du crash à l’horizon. Peut-être qu’ils avaient été pris dans une tempête de sable. Mais, tout ça, Dim n’en savait rien. Il n’avait que les comptes rendus des envoyés spéciaux. L’accident avait eu lieu la veille et Dimitri n’avait appris la nouvelle qu’en milieu de journée, comme tout le monde. Le temps sans doute d’être sûr que le pire était arrivé. Le temps de réaliser. L’info avait fait la une du journal télévisé de 13 heures qui s’était clôturé sur un extrait d’une chanson de Daniel, extraite de son dernier album. Et comme tout le monde, Dim n’en savait pas plus après avoir vu le reportage et les images sur lesquelles ils apparaissaient tous les cinq en vie, quelques heures avant l’accident. Dimitri était resté prostré devant l’image de Daniel, figée sur l’écran, suivie du clip de l’Aziza, son dernier grand tube. Evidemment, la fin de la chanson avait été coupée par une page de publicité, ce qui avait fait bondir Dimitri sur son canapé.
Les premiers symptômes de la maladie de Laurence s’étaient déclarés il y a plusieurs semaines. Laurence avait dû consulter son médecin. Elle était fragile, irritable. Cela avait commencé par un rhume puis une grippe dont elle ne s’était toujours pas remise. Elle était de plus en plus fatiguée. Mais elle n’en avait rien dit à Dimitri, pour ne pas l’alarmer. Elle lui avait juste demandé de la remplacer pour une mission humanitaire où elle ne pouvait se rendre. Même séparés, elle savait qu’elle pouvait compter sur lui plus que sur tout autre. Ils étaient toujours restés en contact au sujet de l’association humanitaire pour laquelle ils œuvraient. Dimitri avait accepté de bon cœur, d’autant plus que c’était pour lui l’excuse idéale pour échapper à l’enregistrement de la chanson des Restos. A son retour, Dimitri avait trouvé un message sur son répondeur. Elle souhaitait le voir après sa mission. Il s’était dit qu’elle voulait être débriefée, mais il avait remarqué une teinte maussade dans sa voix. Elle semblait apeurée. Il l’avait rappelée et elle lui avait dit qu’elle devait le voir absolument et qu’elle passerait rapidement. Dimitri pressentait quelque chose d’anormal. Peut-être cela concernait-il l’association dont ils faisaient partie.
Et voilà que Laurence se tenait maintenant devant lui en ce jour sombre. Elle arborait une mine grave qu’il ne lui connaissait pas. Déjà, il l’avait trouvée amaigrie au premier coup d’œil dans l’entrée. Maintenant s’ajoutait un air affolé. Elle devait lui annoncer qu’elle avait eu les résultats de ses tests sanguins. Dimitri se retourna vers elle et cessa de maugréer sur le sort de Daniel. Il s’interrompit pour l’observer et Laurence en profita pour prendre la parole.
Dimitri et Laurence étaient ensemble depuis leurs études au conservatoire. Pour rigoler, ils avaient décidé de monter un groupe histoire d’animer des soirées. A l’origine, l’idée venait de Dimitri. Officiellement c’était pour le fun, mais pour Dimitri c’était plus important. Il voulait conserver Laurence près de lui et le groupe en était un moyen. Elle avait finalement suivi pour ses beaux yeux, mais il n’était pas question pour elle de chanter. Qu’importe, succombant une fois de plus à son enthousiasme communicatif, c’est pour elle que Dimitri avait pris le micro et qu’il s’était mis à chanter. Il devenait ainsi leader du groupe malgré lui. Laurence était son moteur et son carburant. Vellcro était né et la machine s’était lancée dès qu’Antoine les avait repérés au détour d’un concert qu’ils donnaient dans une soirée. Bingo. Puis le moteur s’était emballé jusqu’à se gripper et se casser.
Sarah posa sa bicyclette, attachant l’antivol à un panneau de signalisation. Puis elle s’avança en direction du quai où se trouvaient les caisses du cinéma. Au dessus des affiches, des néons bleutés éclairaient les panneaux indiquant les horaires des séances. Elle n’était pas arrivée à la bonne heure, il était trop tôt. Elle avait le temps de s’asseoir à la terrasse du café d’à côté. Elle se retourna pour en prendre la direction lorsqu’elle aperçut au loin Dimitri, installé derrière une des tables. Il buvait une Heineken tout en étant plongé dans la lecture de Libération. Dimitri avait toujours sa dégaine de baba cool. Assez grand, ses yeux bleu clairs émergeaient de son visage masqué par une barbe ébouriffée et rendaient son regard perçant et vif. Une casquette à la Gavroche était vissée sur sa tête. On voyait tout de suite à qui l’on avait affaire. Dimitri vivait en dilettante, profitant de la vie. Il pouvait rester plusieurs mois sans se raser, se laissant pousser une barbe dense, puis décider de se raser la tête et devenir chauve. On ne savait jamais à quoi s’attendre avec lui. Il pouvait s’emporter dans une joie délirante et communicative et partir quelques jours plus tard en dépression. C’était une personne à fleur de peau, entière, qui pouvait se lancer dans des projets qu’il lui arrivait d’oublier aussitôt. Aujourd’hui, sa nouvelle lubie apparemment, c’était de lire Libération en prenant le soleil. Sarah s’approcha discrètement de lui tandis qu’il semblait absorbé dans les pages internationales.
- Tu n’as rien d’autre à lire que Libé, espèce de vieux réac ?
Sarah bu quelques gorgées, restant silencieuse, essayant de visualiser dans son esprit un Dimitri inactif. Son air dubitatif se lisait sur son visage. Elle était soufflée par les propos de Dim et les images mentales qu’elle venait de rassembler sur lui. Ce dernier reprit son discours sans sourciller.
- Je me demande cette fois où je pourrais bien partir en vacances.
- Toi, tu as vraiment des questions existentielles.
- Ben, qu’est-ce que tu veux Sarah. J’ai tellement accumulé de pognon avec l’album de Vellcro et nos tubes, sans compter les remix. Du coup, je suis obligé de partir en vacances deux fois par an au minimum. Et au moins un mois à chaque fois. J’y peux rien. C’est comme ça. Et en plus, contrairement aux autres artistes qui ont réussi, je ne peux même pas m’offrir le loisir de payer des pensions à mes femmes. Je n’en ai plus. Et ça fait vingt ans que ça dure. Génial, non ?
- T’es trop riche, si je comprends bien ? Tu parles d’une traversée du désert.
- Vingt ans, tu te rends compte ? Vingt ans depuis le tube ‘’Je dors debout’’, vingt ans depuis l’album ‘’Caribou’’ et toujours autant d’argent ! C’est hallucinant ! Je n’en reviens toujours pas ! Il a suffi d’une chanson pour que j’arrête de bosser et que j’emmagasine cette fortune, le tout sans rien faire. Un tube, des tournées, le pactole ! Si j’avais des enfants, je ne pourrais même pas leur donner le bon exemple. ‘’Allez, les enfants, travaillez bien à l’école si vous voulez trouver un bon boulot et réussir dans la vie !’’. Moi, aujourd’hui, j’ai juste à cliquer sur ma souris pour suivre mes comptes sur Internet et jouer à la bourse. Avec tout ça, cela ne me dit même pas où je vais pouvoir partir en vacances. Je ferais bien un trip en solo avec sac à dos. L’Amérique du Sud, pour changer !
Marc avait la nostalgie de l’époque où ils avaient collaboré sur l’album de Velcro et songeait sérieusement à faire revenir Dim aux affaires.
Dimitri l’arrêta tout de suite. Il n’était pas question de retravailler sur une quelconque chanson.
- Ce n’est pas ce que je te demande, voyons ! Je veux juste que tu me rejoignes en studio pour que je te fasse écouter des sons. Il n’a jamais été question de te refaire chanter. De toute façon, tu ne respectes même pas ton public, lança Marc.
- Mon public, je l’emmerde. De toute façon, il m’a oublié.
- Ecoute, Dim. Je suis des artistes depuis vingt-cinq ans avec ma musique, et t’es le seul qui me sert à chaque fois autant d’immondices sur son public. D’ailleurs, c’est bien simple, personne ne publie plus aucune interview de toi, c’est trop trash. Il n’y a que Judith pour le faire. On se demande pourquoi !
- Arrête. C’est vrai, mon public, c’est quoi ? En partie ce sont des vieux aujourd’hui. Ils sentent la mort. Ça me ressort par les yeux.
- Ils te renvoient à ton image. C’est ça que tu n’aimes pas.
- Des clopinettes ! Je m’en fiche de mon image, je n’en ai plus de toute façon.
- Tu les détestes parce qu’ils ont ton âge. Et parce qu’ils ont une vie et qu’ils sont plus heureux que toi. Crois-moi, s’il s’agissait de petites jeunettes hurlant ton nom, ça te ferait autre chose. Tu reverrais ta position. Tu n’es qu’un vieux pervers, c’est tout.
- Mais ça n’a rien à voir là dedans.
- On te surnomme le vieux Bambi.
- Quoi ?
- Oui, le vieux Bambi. Une sorte de Mickael Jackson moyenâgeux reclus dans sa cave. Il ne te manque plus que des visites d’enfants pour que la boucle soit bouclée.
- N’importe quoi !
- Ca te sidère, hein ?
- Non, pas du tout. C’est la comparaison. C’est débile. L’autre, il est ruiné. Rien à voir avec moi !
- En tout cas c’est ce qui t’attends si tu continues à déconner et que tu ne réagis pas.
- Tu parles comme mon agent.
- C’est parce que j’ai les pieds sur terre, contrairement à toi. Tu n’as qu’à reprendre la chanson pour récupérer de l’argent, si t’as des problèmes. Il y aura toujours un public pour toi.
- Mais il n’y a pas de problèmes ! Et tu ne vas pas t’y mettre non plus. On dirait Antoine.
- Le chanteur ?
- Non, mon agent. C’est Antoine rappelle-toi.
- C’est toujours lui ! Il n’a pas abandonné depuis le temps ! Ça me sidère ! En tout cas, il a raison. Tu devrais chanter et remonter sur scène.
- Non, franchement, il n’y a plus de place pour un type comme moi dans le milieu. Et le monde de la chanson a tellement changé. Je suis, comment dire, trop…atypique.
- T’es complètement frappé, oui. Permet-moi de te dire que pour une fois, tu as complètement raison. Et encore, le mot est faible. Et puis arrête de dire qu’il n’y a plus de place pour toi. Il ne s’agit pas de refaire ce que tu faisais dans les années quatre-vingt. Ouvre plutôt des collaborations nouvelles. Il y a plein de talents aujourd’hui, et beaucoup plus de possibilités qu’il y a vingt ans. Trouve-toi un style et reste-y. Regarde Henri Salvador. Suis l’exemple !
- Tu veux que je devienne sénile, c’est ça ? En tout cas, tout cela ne me dit pas ou je vais partir en vacances. J’ai besoin de soleil. D’aventure. Tiens, j’irais bien au Pérou.